Le Blog d'Ithildine

Comment ne pas frémir en voyant ce "monstre" surgir des abîmes, avec ses dents aiguisées comme un rasoir et sa silhouette saillante? On ne peut s'empêcher de se remémorer l'angoissante musique des "Dents de la mer", film auquel ce squale doit sa réputation de mangeurs d'hommes. Mais savez-vous qu'il existe environ 375 espèces de requins dans le monde, que seulement quelques-unes d'entre elles présentent un réel danger pour l'homme, lorsque l'animal dépasse les deux mètres (taille que seulement 20% des requins atteignent) et que son agressivité est avérée, comme c'est le cas du requin de récif de la Caraïbe, du requin-tigre ou du requin-bouledogue? D'ailleurs, on enregistre environ 70 attaques de requins sur des humains par an dans le monde, dont une quinzaine étant mortelles (selon le Shark Attack File). Cependant, environ 60 MILLIONS de requins sont tués par l'homme chaque année !!! Par bêtise... et pour l'argent, car il vaut toujours mieux soutirer les richesses naturelles au bénéfice de quelques billets, telle est la triste pensée humaine. Mais à quel prix?...

     En effet, l'homme tue des requins pour de multiples raisons: pour se nourrir, pour se procurer des trophées, pour augmenter ses prouesses sexuelles, pour demeurer au sommet de la chaîne alimentaire, et surtout parce ce qu'il est con, n'ayons pas peur des mots. Cette cupidité, ce besoin intarissable de tout détruire! Beaucoup de produits à base de requin ont une grande valeur commerciale. Les dents sont très prisées comme ornements, ces messieurs se sentant plus "homme" (et donc plus cons) avec une dent de requin autour du cou! La peau, une fois tannée, fait un cuir de très grande qualité. L'huile de foie a des propriétés pharmacologiques et cosmétiques, de même que les cartilages qui possèderaient des propriétés anticancéreuses (à voir...). Cependant, le produit "phare" de ce marché du requin reste de très loin la nageoire, ou les ailerons, qui ont des vertus aphrodisiaques. Les fibres de collagène qui constituent la nageoire, une fois extraites, sont transformées en soupe d'aileron de requin; et bien qu'ayant peu de goût et une faible valeur nutritive, la soupe d'aileron peut se vendre en Extrême-Orient jusqu'à 100 euros le bol. De même, une nageoire peut se négocier jusqu'à 500 euros le kilogramme. Je me permettrais de dire que cela fait chère l'érection, tant sur un plan pécuniaire qu'écologique, d'autant plus que la médecine fait aujourd'hui des miracles avec ses petites pilules bleues.

     Evidemment, face à une demande insatiable de nageoires, les pêcheries devinrent des tueries. Les nageoires sont si importantes aux yeux et au porte-monnaie des pêcheurs que la carcasse du requin est souvent jetée par dessus bord une fois les nageoires tranchées, ce pour gagner de la place sur le bateau. Parfois, les nageoires sont tranchées alors que le requin est encore vivant, et l'animal mutilé est rejeté à l'eau où il agonisera lentement, faute de ne pouvoir nager, donc se nourrir, respirer (voir ci-contre). Cela serait comme couper les bras et les jambes de quelqu'un et le jeter à l'eau... On peut donc voir que la cruauté n'a pas de limite pour de l'argent. Par ailleurs, on estime à environ 400 000 tonnes la masse de requins mutilés rejetés, et à un million de tonnes la masse de requins ramenés dans les ports, ce qui correspondrait à plus de cinquante millions d'individus.   

     Face à ces massacres, il faut maintenant réagir en prenant en compte les impacts écologiques. D'une part, certaines espèces sont aujourd'hui en voie d'extinction, cela étant également dû à la biologie particulière de cet animal qui se rapproche, au niveau reproductif, de celle de plusieurs mammifères comme les dauphins, les baleines, ou même l'homme. En effet, les requins mettent plusieurs années pour atteindre l'âge adulte, et certaines espèces ne peuvent se reproduire avant l'âge de quinze ans, une sorte de puberté... De plus, la gestation peut être très longue, allant de deux mois à deux ans pour certaines espèces. De telle sorte que lorsqu'une population de requins est surpêchée, celle-ci peut mettre un grand nombre d'années avant de revenir à son niveau de départ, ou s'éteindre à jamais. Etant donnée la fragilité de sa biologie, certains scientifiques estiment qu'il ne faudrait plus pêcher du tout le requin...
D'autre part, la disparition d'une ou plusieurs espèces pourrait avoir de graves conséquences sur l'écologie marine. Il faut savoir qu'en tant que prédateur, le requin contrôle les populations de ses proies pour son propre bénéfice, car il élimine les individus malades ou atteints de déficience génétique, équilibrant ainsi les populations. Il existe un exemple, celui d'une surpêche en mer de Tasmanie qui fit disparaître la pêcherie de requins. Deux ans plus tard, la pêche à la langouste connut le même sort, alors que l'on constatait une surpopulation de poulpes, ces derniers étant à la fois l'un des prédateurs de la langouste et l'une des proies du requin. Les scientifiques avaient pu en déduire qu'à partir du moment où les populations de poulpes n'étaient plus controlées par les requins, celles-ci étaient trop importantes et décimèrent les populations de langoustes. 

Ainsi, la protection de ces squales devient une nécessité pour éviter sa disparition dans un futur proche. Certains pays souhaiteraient faire bénéficier ces prédateurs de la protection accordée aux mammifères marins tels que le dauphin. Cependant, par leur manque de charisme et leur impressionnant sourire, les requins n'ont pas de fans-clubs à chaque coin de rue, ou plutôt à chaque coin de récif... Serions-nous mieux avec des océans sans requin, plus en sécurité? Certainement pas. Il faut enfin savoir que le risque de se faire attaquer par un requin est plus faible que celui de se faire foudroyer. Que dans l'eau, les dangers qui guettent l'homme sont essentiellement la noyade, l'hypothermie ou le choc avec un navire. Que la première cause de mortalité est l'accident de la route. Que l'animal qui tue le plus dans le monde par an est l'abeille.

Reste à se demander qui est le monstre: le requin ou l'homme? A méditer...